Viens de trouver un 'tit texte
:
La moto est une source de plaisir, voire de jouissance.
In-con-tes-table. Ça s'appelle enfoncer une porte ouverte. Bon. Mais
ousske c'est le plaisir, la jouissance? Ça dépend.
Y en a que c'est la zone rouge, un rupteur sinon rien, faut que ça
gueule; d'autres que c'est le compteur sur 3 avec deux zéros derrière;
d'autre que c'est péter une pendule sur un tour de trois ou quatre
kilomètres; d'autres encore que c'est d'user les pneus séparément, un
coup l'arrière, un coup l'avant, le moins possible les deux en même
temps, avec les pieds en l'air, une main dans le dos, la frangine qu'a
la tête qui frotte le bitume et je t'en passe. Tout ça c'est de
l'adrénaline, un peu trompe-la-mort, ça mange pas de pain. Donc le
plaisir, c'est chercher la limite?
Oui, mais non.
Y'a aussi les ceusses qu'y faut qu'y roulent, tout le temps, toujours,
partout, des milliers .de bornes, de préférence sous la pluie
verglagla derrière un 30 tonnes, armes et bagages, antibrouillard
obligatoire; rafistoler les durites sous la pluie sous un pont à deux
du mat' ; te démerder d'une crevaison inopportune sur la bande d'arrêt
d'urgence, les poids lourds qui passent à donf te caressant le bas du
dos; la gamelle au p'tit matin sur une traître traînée de gazole, de
celle qui t'ensuque pour le restant de la journée; les 200 bornes par
- 10° qu'il te faut 28 cafés d'affilée pour commencer à te réchauffer,
qu'à la fin tu sais même plus pourquoi que tu trembles. Le masochisme
héroïque. Donc, le plaisir, c'est chercher la limite?
Oui, mais non.
Y en a que c'est le frisson de l'équipement, la meule rutilante
magnifique, blindée d'accessoires hors de prix qui te font tripler le
prix d'achat de la mob en moins d'un quart d'heure chez le marchand de
verroterie. Le un quart d'heure d'automutilation bancaire. Du sadisme?
D'autant qu'avec le déguisement qui va bien, tout cet attirail en cuir
noir, là, c'est tellement érotico-dominato-chevaleresque. Et pis, ça
se discute pas, être le plus bô, que tout le monde me regarde, ça n'a
pas de prix; et pis t'as vu ma zessegon, derrière sur son strapontin
comme elle est bien assortie, si ça décore bien? Le grand frisson du
crédit à la conquête de l'inutile. Donc le plaisir, c'est chercher la
limite?
Oui, mais non.
Y en a qui jurent que par l'authentique, le vrai, l'unique, le truc
comme on en fait plus, comme on en fera plus, .le dernier des
Mohicans, le collector que même l'air dans les pneus il est d'origine.
Du cambouis jusque dans les oreilles. Là-bas, au fond du sombre
garage, des soirées interminables, des week-ends entiers à contrôler
indéfiniment le va-et-vient du piston, la montée de la tige de culbu,
le coulissement du boisseau, astiquer le gicleur, le tout coincé entre
un calendrier de pin-up et une culasse défraîchie. Deux sorties dans
l'année, la première 6 km avant que la bielle traverse le carter, la
deuxième 33 km, mais là c'était la boîte. Au mieux, retour sur la
remorque. Six mois de boulot à chaque fois. Faut que ça pète ou que ça
dise pourquoi. Donc le plaisir, c'est chercher la limite?
Oui, mais non.
Y a quand même un truc dont y faut qu'on parle, toi et moi, entre
adultes. C'est bien bô, tout cet outrageant plaisir, cette débauche de
souffrance magnifique, cette mise en scène superbe de l'érotisme
mécanique, cet obscur onanisme lubrifié au ricin. Mais ousskil est, le
point G dans tout ça ? Le truc qu'il te faut chercher et chercher
encore, que tu l'atteindras pas à chaque fois, ou alors toujours plus
loin, toujours plus haut. Le truc qui te saute à la tronche un jour
que tu t'y attendais plus. Le truc que tu mettras une croix sur ton
calendrier quand ça va t'arriver. C'est que ça se prépare, faut un max
de préliminaires pour y arriver. Un jour que t'es en forme, que tu
sors pas du bistrot, la bonne météo, chauffer la bête, la brutaliser
juste ce qu'il faut avec juste ce qu'il faut d'accessoires de qualité,
faire monter le boudin en température, choisir tranquillement et avec
soin le lieu favorable.
Et là, quand t'auras tout en main, bien sous contrôle, tu pourras te
lâcher, laisser aller, connaître le bonheur, la grosse étincelle,
effleurer le bitume, laisser traîner cet insignifiant ergot, frotter
délicatement ce petit clito métallique, làààà, juste au bout de ton
cale-pieds...